#32 - Mentir aux classements d'écoles et finir en prison
C'est la malheureuse histoire qui est arrivée à l'ancien Dean de la Fox School of Business, Moshe Porat, condamné à de la prison ferme.
Qui n’a jamais halluciné devant les prétendus salaires de sortie des Grandes Ecoles françaises ? Si les diplômés se taisent, au risque de détruire la valeur de leur diplôme, force est de constater que les niveaux réels des salaires sont assez éloignés de ceux qu’envoient les écoles aux médias qui réalisent des classements.
La raison est claire : il n’est pas obligatoire d’envoyer sa fiche de paie pour répondre à ces classements. En tant qu’étudiant, il est plus que tentant d’augmenter la valeur de son diplôme sur le marché en gonflant son salaire. Ce que l’école peut aussi réaliser de son propre chef !
Quelle est la conséquence de cette course à la gonflette ? Tout simplement une charge de travail colossale pour les médias mais aussi des recrutements clés au sein des institutions classées, dénichant les profils les plus à même de répondre hum correctement hum aux médias.
Mais ça ne fonctionne pas toujours comme prévu. Si certaines écoles se font exclure de classements quelques années (pas très grave), parfois, la sentence peut être irrévocable (très grave).
Souvent, ce ne sont ni les écoles ni les journalistes qui révèlent le pot aux roses. Cela peut être un blogueur, comme dans ce qui est présenté par la suite ou encore un professeur de mathématiques, comme dans le cas de Columbia, exclu du classement US News cette année.
Maintenant, intéressons-nous à une incroyable histoire. Celle d’un Dean pris la main dans le sac en 2018, qui a risqué jusqu’à 25 ans de prison pour… gagner quelques places.
Moshe Porat était le Dean de la Fox School of Business, une business school dont le campus est typique de ce que l’on trouve outre-Atlantique :
Rien à voir avec le grand réseau de média éponyme. Cette école est la business school de Temple University, en Pennsylvanie. Elle est accréditée AACSB depuis 1973, preuve de son sérieux.
Elle est de taille similaire aux Grandes Ecoles fusionnées françaises comme NEOMA, SKEMA ou KEDGE. En chiffres, pour 2019, cela donnait :
7 000 étudiants
103 millions de dollars de revenus
195 enseignants
Ce qui faisait sa force jusqu’en 2018 : sa première place au classement des Online MBA d’US News. Amazing!
A l’instar de nombreuses universités au prestige limité, Temple University a connu une forte croissance de ses diplômes en ligne :
Son bachelor en ligne a même été classé au deuxième rang du palmarès US News en 2017 !
Les plus fidèles de mes lecteurs auront vite compris l’importance d’un tel rang dans la commercialisation d’un diplôme en ligne. Là où l’on pense que le premier coût d’un diplôme en ligne est pédagogique ou technologique, la réalité est toute autre.
Comme le montre l’évolution des coûts de Coursera depuis son introduction en Bourse analysée ici, le nerf de la guerre, c’est le Sales & Marketing !
Quitte à dépasser les limites de la loi.
Si vous souhaitez lire la suite de l’article, abonnez-vous gratuitement et je vous donnerai l’accès à l’intégralité du contenu !
C’est ce qui est arrivé à Moshe Porat. Né en Pologne, celui qui était à l’origine doctorant spécialiste du monde de l’assurance est arrivé à Temple University dans les années 1970 après avoir étudié en Israël.
Peu à peu, il a gravi tous les échelons de l’université jusqu’à prendre sa tête pendant 22 ans… jusqu’au 9 janvier 2018.
Ce jour-là et pour la première fois, ses équipes ont dénoncé devant lui son stratagème lui permettant de faussement briller. Il n’en n’a eu cure et a décidé d’envoyer un message aux donateurs se félicitant de sa nouvelle place en tant que meilleur MBA en ligne.
Le lendemain, il demande à un prof de statistiques de son lycée de calculer le vrai rang de son programme indépendamment du mensonge sur le nombre d’étudiants ayant présenté un test standardisé (comme le GMAT) à l’admission.
D’après les chiffres fournis à US News, 100% des 255 étudiants avaient passé un tel test. Ils n’étaient que 42. Face à ces chiffres, il était clair :
Ce n’est pas comme si U.S. News était une entité gouvernementale. Je veux juste que vous arrêtiez tous d’être ridicules…
La seule correction de ce chiffre aurait fait passer le MBA en ligne de premier à… sixième tant la pondération du critère est importante.
Ce n’est pas tout car les équipes de Moshe Porat ont également menti sur d’autres critères majeurs de classement, comme :
le GPA undergraduate des étudiants ;
le nombre de propositions d’admission par rapport au nombre de candidats ;
le niveau des dettes des étudiants qui ont eu recours à un emprunt afin de financer leurs frais de scolarité ;
le ratio entre le nombre de salariés assistant les professeurs dédiés à la technologie et le nombre de professeurs.
Lorsque Moshe Porat demanda à son professeur de statistiques Isaac Gottlieb quelle attitude adopter, ce dernier le conseilla par mail de ne pas revenir vers US News.
Coup dur pour ce dernier, la révélation de ce message lui a coûté son job rémunéré 170 000 $ par an. Quant à Moshe Porat, il s’octroyait 600 000 $ annuels de salaire ! La responsable des finances Majorie O’Neill, chargée de superviser l’envoi des données à US News a également été reconnue complice de cette fraude.
Lors de la révélation de ce scandale, il s’est avéré que Temple University n’avait pas menti que sur ses diplômes online mais aussi sur d’autres diplômes :
Executive MBA
Global MBA
Part-Time MBA
Master of Science in Human Resource Management
Master of Science in Digital Innovation in Marketing
Mais pourquoi tricher ?
Diriger une école implique de se soumettre à la vindicte populaire au moindre scandale. Ces dernières années, moult Grandes Ecoles de commerce françaises ont été impliquées dans des affaires plus ou moins sérieuses. Dans tous les cas, la personne responsable n’est autre que celle qui dirige l’institution.
Pour les classements, c’est la même chose.
Constater qu’une école baisse dans des classements ou qu’elle demeure incapable de progresser aboutit très fréquemment au renvoi de son dirigeant. La trajectoire est assez similaire à celle d’un entraîneur de football qui enchainerait les mauvais résultats. Le renvoi de Loick Roche, DG de Grenoble EM, le jour de la publication des résultats SIGEM où NEOMA lui a chippé la huitième place en est le dernier témoin…
Le cas de la Fox Business School est riche en enseignements. En 2013, lassé de sa 30e place au classement US News, Moshe Porat a décidé de tout faire pour remonter dans ce classement afin de figurer au moins dans le top 25.
Il décide alors de rencontrer les équipes d’US News par l’intermédiaire de sa responsable des finances et de deux salariés. C’est là qu’il réalise que le média est totalement incapable de vérifier ses données faute de staff et que les journalistes font confiance aux écoles.
Moshe Porat décide dans la foulée de dissoudre son groupe de travail interne sur les classements afin d’en faire une affaire personnelle. Grosso modo, il s’octroie le pouvoir de jouer comme il l’entend avec ses données !
Première décision : changer le nombre d’étudiants qui fournissent un score GMAT ainsi que leur GPA. D’un coup de baguette magique, ce score passe de 11,7% à… 100%.
Suffisant pour… passer premier à égalité avec la Kelley School of Business (Université de l’Indiana) et la Kenan-Flager Business School (Université de Caroline du Nord) dès 2015 !
Les conséquences financières sont immédiates : le nombre d’étudiants augmente de 90%, à 133 inscrits. L’année suivante, ils sont même 198 ! En 2017, riche de son troisième titre national, 336 étudiants s’inscrivent à son MBA en ligne. Pour un diplôme à plus de 50 000 $, les gains financiers pour Fox Business School s’élèvent à plusieurs dizaines de millions de dollars au cours de la période de fraude !
Confronté à la justice, Moshe Porat se dit victime et affirme être le bouc-émissaire tout en accusant l’université de détruire sa santé et sa réputation. Hélas, les 32 000 documents examinés et les 17 salariés interrogés auront eu raison de sa défense extrêmement maladroite.
Une accusation renforcée par la volonté de Moshe Porat de poursuivre son ex-employeur en diffamation, réclamant 25 millions de dollars !
Le ridicule ne tue pas mais peut faire très mal. Si Moshe Porat avait gardé le silence dans le cadre de son procès pour fraude, dans le costume de l’attaquant, il n’hésitait pas à se montrer plus que vindicatif, se noyant dans des arguments mensongers et pathétiques.
Il a été reconnu coupable et condamné à 14 mois de prison ferme, 300 heures de travaux d’intérêt général et 250 200$ d’amende. Du côté de la Fox Business School, plus de 5 millions de dollars ont été rendus aux étudiants :
4 millions pour les étudiants de l’Online MBA qui se plaignent d’avoir surpayé leur diplôme ;
1 million pour les étudiants des autres programmes
5 000 $ de financement de bourses étudiantes dédiées à… l’éthique !
Que retenir de ce mensonge ?
C’est mon mantra depuis que j’ai cofondé 2Empower :
Un classement subsume sous une prétendue objectivité ce qui est éminemment subjectif.
La valeur d’une école dépend de bien des facteurs qui eux-mêmes dépendent de ce que veulent en tirer des étudiants.
A l’heure où les diverses accréditations internationales standardisent de manière folle les enseignements et la gouvernance de nos écoles, l’innovation pédagogique doit s’inscrire dans des cadres rigoureux et fermes.
Ces derniers sont pratiques pour les médias, qui peuvent aisément déterminer des critères d’excellences (score aux tests d'entrée, salaires de sortie, nombre de professeurs, etc.) qui font tout sauf mesurer la qualité d’une école.
Pour preuve en France (et probablement ailleurs), c’est surtout la qualité du recrutement aux concours que les différences pédagogiques qui font la réputation de nos toutes meilleures institutions…
Doit-on s’en contenter à jamais ?
A très vite pour un prochain numéro !
Mehdi Cornilliet
CEO @2Empower
2Empower est le groupe média & tech leader auprès des étudiants désirant intégrer des Grandes Ecoles… et de ceux qui y sont déjà. C’est aussi l’entreprise que j’ai co-fondée.
Nous accompagnons les étudiants au cours des moments importants de la scolarité, du post-bac à la recherche du premier emploi.