#5 - Ces startups EdTech devenues licornes pendant le Covid-19 🦄
La coronacrise a permis à de nombreuses technologies de l'éducation de trouver leur public, et de convaincre des investisseurs de financer leurs activités. Certaines sont même devenues des licornes !
La crise du coronavirus a placé instantanément les technologies de l’éducation au cœur des processus d’apprentissage. De facto, le lieu principal de la transmission du savoir n’était plus la salle de classe, mais le logement, par le truchement de l’équipement informatique.
Faute de préparation, les étudiants se retrouvaient face à des heures de cours assumées sur Zoom, Teams et consorts, tandis que les professeurs étaient sur-sollicités dans un temps extrêmement court afin de créer des supports de cours adaptés à cet enseignement distanciel d’urgence.
Tout comme les business de l’ère Internet font des vainqueurs comme Amazon, Google, Facebook, Microsoft ou Apple des purs mastodontes ne laissant aucune place à une concurrence reléguée aux oubliettes (coucou Yahoo et MySpace), le confinement et l’enseignement synchrone a pu sublimer les compétences des bons professeurs, devenus excellents, mobilisables à toute heure, 100% impliqués dans leur passion, leur métier. A l’inverse, ceux de niveau moyen voire médiocre, à l’implication discutable, ont sombré au cours de la période, incapables d’assumer leurs tâches avec des technologies pourtant simples d’utilisation, se jugeant dépassés par ces dernières qui fondent pourtant le monde où évolueront leurs élèves. Dans l’enseignement primaire, de nombreux parents ont pu constater que des enseignants se contentaient d’envoyer un mail par semaine contenant des documents à imprimer, faisant office de cours pour toute une semaine.
Le digital amplifie les inégalités, et transforme la manière dont l’apprentissage se réalise. In fine, ceux qui ont brillé pendant la période de Covid-19 sont ceux qui ont pris conscience d’un mouvement fondamental : apprendre ne se limite plus à une salle de classe ou à un campus. Apprendre se fait au quotidien, à travers l’ensemble des supports disponibles, qu’il s’agisse d’une salle de classe ou d’un smartphone. En 2020, la communauté d’apprentissage est plus sociale que jamais : par des interactions physiques mais aussi digitalisées.
Croire que l’enseignement distanciel se limite à allumer une caméra et à faire des cours en direct est une bévue totale, dont sont victimes les 200 professeurs auteurs d’une tribune démontrant l’ampleur de la non-compréhension des technologies de l’éducation au sein du corps professoral.
En totale contradiction avec ces thuriféraires du non-changement, les EdTechs ont prospéré ces dernières années. Elles facilitent ces processus d’apprentissage, en s’appropriant des canaux de transmission attractifs, aidés par l’apport des sciences du numérique (que d’aucuns appellaient Big Data et désormais Intelligence Artificielle). L’apprentissage ne se limite plus à la salle de classe. Gloria Tam, du Minerva Project l’exprime clairement dans les colonnes du South China Morning Post :
With 5G technology becoming more prevalent in countries such as China, the US and Japan, we will see learners and solution providers truly embracing the ‘learning anywhere, anytime’ concept of digital education in a range of formats, […] Traditional in-person classroom learning will be complemented with new learning modalities – from live broadcasts to ‘educational influencers’ to virtual reality experiences.
PS : Nous avons déjà analysé les EdTechs cotées en Bourse en Asie, aux Etats-Unis et en Europe, marché très faible en regard des deux premiers.
Depuis 2020, nombreuses sont les entreprises de l’éducation à avoir acquis le statut de licorne. Cela signifie qu’elles intègrent un club sélect de jeunes pousses en forte croissance dont la valorisation acceptée par les derniers investisseurs excède 1 milliard de dollars. Découvrons ces 4 nouveaux-venus ainsi qu’une entreprise qui a levé… 1 milliard à elle seule !
🇨🇦 Applyboard 🇨🇦
Valorisation : 1,4 milliard de dollars
Création : 2015
Montant levé : 122,5 millions de dollars
La famille Basiri est composée de Martin (CEO) ainsi que de Meti (CMO) et Massi (COO), trois frères iraniens venus étudier au Canada. Leur volonté est de permettre à tous les étudiants, quelle que soit leur nationalité, de bénéficier d’opportunités d’études à l’étranger, tous trois ayant rencontré de nombreuses difficultés à s’expatrier dans le cadre de leurs études.
Ils imaginent donc un projet qui serait le mix parfait entre Expedia et Turbotax, produit d’Intuit permettant aux Américains de remplir correctement leur si complexe feuille d’impôts sur le revenu.
Comme ils l’expliquent :
Expedia-esque – a marketplace for schools; TurboTax-esque – making “a very hard and confusing application process very seamless.”
Très concrètement, en moins d’une minute, l’étudiant remplit ses informations sur la page d’une formation donnée, et ApplyBoard lui permet directement d’obtenir des informations sur sa potentielle admission selon des critères pré-définis (notes, scores aux tests, etc.)
A l’instar de nombreux agents recrutant des étudiants depuis l’étranger pour de nombreuses écoles françaises, ApplyBoard reçoit une commission sur les frais de scolarité générés par les étudiants recrutés depuis son site.
En 2019, son chiffre d’affaires a été multiplié par 6 d’après les fondateurs. C’est la raison pour laquelle un an après avoir levé 40 millions de dollars, des investisseurs lui ont confié 75 millions supplémentaires, avec une valorisation qui excède le milliard de dollars !
Selon Deloitte, il s’agit de l’entreprise canadienne à la plus forte croissance entre 2015 et 2018, avec une croissance de 12 525%, lui permettant de prendre la tête du Technology Fast 50 !
🇺🇸 Udemy 🇺🇸
Valorisation : 2 milliards de dollars
Création : 2010
Montant levé : 200 millions de dollars
S’il y a bien une entreprise à laquelle je suis très attaché depuis fort longtemps, c’est elle ! Udemy est une place de marché d’achat-vente de cours en ligne, dotée d’une infrastructure de learning de très bon niveau.
Riche de 150 000 cours allant de la programmation informatique à l’investissement en Bourse en passant par le violon, Udemy permet à chacun de s’inscrire à des cours en ligne asynchrones créés par des professeurs indépendants qui coachent aussi leurs étudiants.
Udemy a reçu en février dernier 50 millions de dollars de la part du japonais Benesse Holdings, un des leaders mondiaux de l’éducation, connu pour posséder l’école d’apprentissage de langues Berlitz.
Avec près de 50 millions d’étudiants inscrits, cela représente une valorisation de 40$ par utilisateur. Près de 60 000 instructeurs ont d’ores et déjà créé au moins un cours sur Udemy, avec leurs propres moyens. Ils ont perçu plus de 350 millions de dollars de revenus depuis la création de la plateforme.
L’un des principaux axes de développement de Udemy est, à l’instar de Pluralsight, d’opérer une mutation d’un business B2C, difficile et coûteux à pénétrer, à un modèle B2B. Les entreprises peuvent disposer d’un accès illimité à plus de 4000 cours pour la modique somme de 360$ par an et par utilisateur.
Les fondateurs, d’origine turque (eh oui, l’immigration apporte énormément à la scène entrepreneuriale nord-américaine !), sont très présents sur Twitter où ils partagent leurs aventures entrepreneuriales, à suivre sur @erenbali et @gaganbiyani. Ce dernier a notamment partagé une série de tweets concernant Udemy, et la manière dont il s’est fait remercier.
🇺🇸 Course Hero 🇺🇸
Valorisation : 1,1 milliard de dollars
Création : 2006
Montant levé : 27,4 millions de dollars
Imaginez une plateforme d’apprentissage participative où vous avez accès à des briques de cours de toutes les universités si vous décidez d’y contribuer. C’est ce que réalise Course Hero, qui a rejoint récemment le club des licornes suite à une très modeste levée de fonds de 10 millions de dollars, menée par NewView Capital, un fonds spin-out de NEA (New Enterprise Associates).
Contrairement à ses pairs, Course Hero revendique d’être rentable depuis longtemps. Son CEO, Andrew Grauer affirme que Course Hero gagne effectivement de l’argent depuis 2012. En 2019, la startup basée à Redwood City, au nord de la Silicon Valley, et composée de 200 employés, revendique un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions de dollars. Son revenu provient de son million d’utilisateurs déboursant entre 10 et 40 dollars par mois pour avoir accès aux 40 millions de ressources partagées.
Protégée par le Digital Millennium Copyright Act, Course Hero retire sous deux jours ouvrés les contenus soupçonnés d’enfreindre les droits d’auteur des professeurs. Pour ces derniers, Course Hero a également créé une plateforme qui leur est réservée, où ils peuvent librement échanger des contenus de cours, de tests, etc. Cette plateforme réservée aux membres des facultés réunit d’ores et déjà plus de 30 000 académiques.
A l’instar de Chegg, Course Hero s’est diversifié depuis dans une offre de tutorat accessible 24/7, avec la promesse d’une réponse très rapide, parfois dans les 15 minutes suivant la soumission d’un problème.
La taille modeste de sa levée de fonds s’explique aussi par la volonté de l’entreprise de récompenser ses premiers salariés en leur permettant de vendre pour 30 millions de dollars d’actions. De quoi se projeter plus sereinement dans l’avenir.
🇺🇸 Quizlet 🇺🇸
Valorisation : 1 milliard de dollars
Création : 2005
Montant levé : 62 millions de dollars
Ne dites pas à Matt Goltzbach qu’il dirige une licorne. Il préfère désigner sa startup valorisée plus d’un milliard de dollars à travers la métaphore du… chameau. 🐪
Annoncée à la mi-mai 2020, la levée de fonds de 30 millions de dollars a permis à Quizlet, application d’apprentissage utilisant le concept de flashcard, d’entrer dans le sélect club des licornes.
Si Matt Goltzbach préfère l’analogie du chameau, c’est que la levée de fonds de 30 millions de dollars permet à Quizlet de faire face à une longue période sans nourriture ni eau, sans tomber dans le travers de la croissance à tout-prix qui implique de brûler du cash rapidement. Cette métaphore camélidée est empruntée à Alex Lazarow, qu’il a décrit dans un ouvrage intitulé Out-Innovate: How Global Entrepreneurs – from Delhi to Detroit – Are Rewriting the Rules of Silicon Valley !
L’histoire de Quizlet est impressionnante. L’entreprise a été créée en 2005 par Andrew Sutherland, un adolescent âgé de 15 ans qui essayait de réussir son examen de… français ! Alors que son père lui conseillait de faire des flashcards en français, il a jugé plus opportun de le faire sur son ordinateur. Quizlet était né !
Rentable dès 2009, l’entreprise n’a levé de l’argent que 10 ans après sa création, en 2015, à travers une série A de 12 millions de dollars. Depuis, Quizlet cartonne : son application est unanimement reconnue comme excellente et le site en version desktop se classe parmi les 330 sites les plus visités au monde d’après SimilarWeb.
Les différents modes d’apprentissage créent une certaine addiction dans la mesure où la gamification est très présente. Le mode Gravité consiste par exemple à devoir taper la bonne réponse avant que les astéroïdes contenant la définition n’arrivent en bas de l’écran.
Quizlet marche également sur les pas de Kahoot! par la création d’animations en live permettant aux professeurs d’animer leur salle de classe. La seule EdTech européenne cotée en Bourse a séduit récemment de très nombreux investisseurs, tout en levant 28 millions de dollars supplémentaires.
🇨🇳 Yuanfudao 🇨🇳
Valorisation : 7,8 milliards de dollars
Création : 2012
Montant levé : 1,5 milliard de dollars
Après avoir levé 1 milliard de dollars en série G en mars 2020, Yuanfudao avait acquis le statut d’EdTech chinoise non cotée la plus chèrement valorisée. Si elle avait d’ores et déjà accédé au statut de licorne avant la pandémie de coronavirus, cette levée de fonds record mérite que l’on s’y attarde.
Yuanfudao opère une plateforme de cours en streaming, dédié aux enseignements primaires et secondaires jusqu’au gaokao, équivalent chinois du baccalauréat, qui prend non pas la forme d’un examen mais d’un concours qu’il faut réussir pour avoir les meilleures universités du pays.
Tencent, le géant chinois de l’Internet connu pour WeWhat, a également investi dans ce véritable Netflix de l’éducation, qui propose des cours en live et en replay.
L’entreprise, forte d’une croissance organique très poussée, fait également face aux diverses mesures politiques, telles que l’interdiction d’embaucher des enseignants qui travaillent au sein des écoles publiques.
Aujourd’hui, Yuanfudao revendique… 400 millions d’utilisateurs. La crisé liée au Covid-19 n’a fait qu’accélérer la croissance déjà forte de cette entreprise EdTech.
L’entreprise n’étant pas publique, nous ne pouvons pas décrire très précisément ses lignes de business ainsi que leur taille respective. Ma non-maîtrise totale du chinois n’aidant pas à décortiquer les sites Internet, on se contentera de ces informations !
Enfin, une petite erreur de configuration d’envoi (programmé ce mardi matin au lieu de ce lundi) permet de conclure cette article avec deux actus brûlantes. Une colossale levée de fonds de 750 millions de dollars a été annoncée par un concurrent direct de l’entreprise chinoise, Zuoyebang, spin-off de Baidu (concurrent direct de Tencent), valorisé 6,5 milliards de dollars. OKLM.
Le non-envoi de cette newsletter à l’heure prévue permet de signaler une “modeste” levée de fonds de 100 millions de dollars par ByJu’s, une entreprise indienne. Depuis le 29 juin, ByJu’s est la startup EdTech la plus chèrement valorisée au monde… à 10,5 milliards de dollars ! Son capital accueille notamment Mark Zuckerberg, Tencent et Naspers, géant sud-africain ayant fait fortune en ayant amassé près de 200 milliards de dollars (au cours actuel) en misant tôt 32 millions de dollars sur… Tencent !
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Mehdi Cornilliet
CEO 2Empower, groupe média & tech des leaders de demain
Co-CEO d’un projet dont vous entendrez parler dans les semaines à venir 😃